Comme un cadavre parmi les hommes

Quelle terrible épreuve, pour un cadavre
D’apparaître aussi vivant qu’un vivant
Elle cache ses os qui craquent ; mais essayant
Encore, elle est de sa carrière, l’esclave.

Les gens dorment. Se ruant hors du cercueil,
Au tribunal, sénat, banque, elle file ;
Plus brillante la nuit, plus sombre sa fureur.
Et triomphante, elle arrache son linceul.

La journée, sur son rapport elle se démène.
Le travail fini, le dos qui vacille,
Lasse, elle plaisante avec le sénateur,
Et lui raconte une anecdote obscène.

C’est la nuit ; trempés par une pluie battante
Les piétons, les bâtiments, … toute la ville …
D’autres fêtes, elle est l’invitée d’honneur,
Le cadavre saute dans une voiture hurlante.

Au milieu des colonnades du hall,
En robe de soirée, elle fend la foule ;
Avec un sourire et un cri, l’accueillent
Un mari – l’idiot - et sa femme – la folle.

Ses os craquent ; et assommée par l’andante
Des violons, son ennui, elle refoule,
Les baisers de tous, sur la main, elle cueille :
Il lui faut montrer qu’elle est bien vivante.

Et près d’une colonne, par hasard, elle tombe
Sur un véritable ami : mort, comme elle.
Leur conversation affectée révèle
Les mots qu’ils dissimulent d’habitude:

« Amie si lasse, quelle étrange attitude ! »-
« Mon ami si las, si froide est la tombe ! » -
« Minuit » - « vous n’avez pas invité M
Pour une valse. M’a-t-on dit, il vous aime… »

Et M, qui la poursuit avec passion,
La recherche, elle ; et de passion brillent
Ses yeux. Son cœur bat avec obsession
Et déborde d’un amour qui le vrille.

Il lui murmure une phrase pour la faire rire,
Et pour séduire les âmes encore en fête.
Ses yeux et ses joues rosissent de plaisir
Et sur son épaule, elle repose sa tête.

Dans le brouhaha de la salle de bal,
A l’oreille, des plaisanteries féroces,
Susurrées avec un ton très allègre.
« Elle est si bien ! Oui, vraiment pas banale ! »

Mais ses oreilles captent un son bien aigre :
Le crissement d’un os contre un autre os.

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