titre poète métro

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Vladimir Nabokov
1899-1977
né à
St Petersbourg,
mort à Montreux

Shakespeare
Timon of Athens

Alcibiade

Feu Pâle, roman de Vladimir Nabokov

Timon Afinsken

Nous savons que le titre Feu Pâle (‘Pale Fire’) est tiré d’un vers de Timon d’Athènes (Timon Afinsken , dans la version zemblienne de Conmal, l’oncle de Charles le Bien-Aimé), tragédie de William Shakespeare ; à l'acte IV, scène 3 (vers 472-478), Timon s’adresse à trois voleurs :

The sun’s a thief ; and with his great attraction
Robs the vast sea ; the moon’s an arrant thief,
And her
pale fire she snatches from the sun ;
The sea’s a thief, whose liquid surge resolves
The moon into salt tears: the earth's a thief,
That feeds and breeds by a composture stolen
From general excrement : each thing's a thief …

Shakespeare
William Shakespeare

Le professeur Charles Kinbote dans son commentaire des vers 39-40, donne une traduction de sa version « zemblienne » :

Le soleil est un voleur : il attire la mer
Et la dérobe. La Lune est une voleuse :
Elle ravit sa lumière argentée au soleil.
La mer est une voleuse, elle dissout la Lune.

… et dans cette version le feu pâle disparait (et avec lui la référence au titre) et devient lumière argentée (silvery light) ; ce qui éclaire par avance son commentaire des vers 671-672 concernant l’hippocampe indompté (untamed sea-horse) et le poème ‘My Last Duchess’, où il condamne la détestable habitude, selon lui, qui consiste à donner pour titre à un long poème une phrase prise dans une œuvre poétique plus ou moins célèbre du passé. Plus probablement, il n'apprécie pas ce titre, Feu Pâle, qui correspond bien peu à l'épopée flamboyante de Charles le Bien-Aimé, qui devrait constituer le thème principal du poème !

Dans son commentaire du vers 962 ('- Help me, Will ! Pale fire.' ), Kinbote feint d’ignorer de quelle œuvre de William Shakespeare est extrait ‘Pale Fire’ et ainsi tente de cacher cette allusion trop directe au vol, qui pourrait attirer la suspicion sur lui, voleur du poème de John Shade.

Timon d’Athènes est une tragédie de Shakespeare souvent considérée imparfaite ou incomplète ; elle est très rarement jouée. Timon est un seigneur athénien généreux qui dilapide sa fortune en cadeaux à ses ‘amis’. Ruiné, pourchassé par ses créanciers, plus aucun de ses ‘amis’ n’accepte de l’aider. Devenu misanthrope, il s’enfuit et se réfugie dans une grotte. Dans la scène 3 de l’acte IV, Timon découvre un trésor dans sa grotte et en donne une partie à Alcibiade pour financer sa troupe pour massacrer les athéniens et aux deux prostituées Timandra et Phrynia, pour transmettre aux seigneurs athéniens leurs maladies vénériennes. Timon s’adresse alors aux trois voleurs, attirés par le trésor …

Il est sans doute intéressant de noter que c’est Kinbote qui nous apprend que Pale Fire provient de Timon d’Athènes, tout en feignant de ne pas le savoir : 'Mais dans laquelle des œuvres du Barde le poète l’a-t-il recueillie ? Mes lecteurs devront le rechercher eux-mêmes.' Mais il nous souffle la solution dans la phrase suivante … John Shade dans son poème ne nous donne aucune autre piste que le vers 962. Timon d’Athènes revient à un endroit stratégique des commentaires de Kinbote : 'une édition in-trente-deux du Timon d’Athènes traduit en zemblien par son oncle Conmal' se trouve dans le placard qui cache l’entrée du tunnel secret qui permettra à Charles le Bien-Aimé de s’enfuir (commentaire du vers 130). Les deux prostituées réapparaissent en travestis zembliens 'Phryné au menton mal rasé, la jolie Timandre avec cette trique sous le tablier' , partenaires de débauches de Charles le Bien-Aimé (commentaire des vers 433-434).

Quel est le rapport entre la tragédie Timon d’Athènes et le roman Feu Pâle ? Le premier rapport évident et maintes fois souligné est le vol : dans la citation d’où est tiré le titre Pale Fire, Timon s’adresse à trois voleurs ; le roman décrit le vol du poème de John Shade par Charles Kinbote, ou tout au moins la tentative de Kinbote de forcer le thème du poème (voir en particulier le commentaire du vers 41), puis l’accaparement du manuscrit, après le meurtre de John Shade.

Cependant, le vol n’est qu’un thème mineur dans la tragédie de Shakespeare et les trois voleurs des personnages secondaires. Nous pouvons donc douter que ce soit le seul rapport avec la tragédie : un lien plus fort doit exister, qui justifie l’emprunt d’un vers pour le choix du titre du roman.

Nous pensons que ce lien existe et qu’il repose sur le personnage d’Alcibiade : Alcibiade, homme de guerre et seigneur athénien, et ami réel de Timon est un des personnages principaux de la tragédie. Nous pensons que Charles le Bien-Aimé doit être identifié à Alcibiade : C’est la théorie que nous défendons dans le paragraphe suivant.