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Vladimir Nabokov
1899-1977
né à
St Petersbourg,
mort à Montreux

Pale Fire
(réf.9 de l'article Wikipedia): Nabokov, Vladimir (1973). Strong Opinions. New-York : McGraw-Hill, p.74

Le Meurtre de Roger Ackroyd

Feu Pâle, roman de Vladimir Nabokov

La théorie Solus Rex

Charles le Bien-Aimé, Kinbote, est un assassin, commanditaire du meurtre de John Shade.

Echecs
Problème d'échec composé par Nabokov

Dans cette théorie, Kinbote conçoit un stratagème machiavélique visant à s’emparer du poème de John Shade pour se l’approprier puis à se débarrasser du poète en le faisant assassiner. Nous appelerons cette théorie ‘Solus Rex’. Solus Rex est un type de problème d’échec où le roi, seule pièce noire restante, est coincé dans un coin de l’échiquier (commentaire du vers 130) ; le stratagème de Kinbote aurait du le conduire à un échec et mat en sept coups !
En fait la dénommination 'Solus Rex' est sans doute inappropriée, car le roi noir n'est pas tout à fait seul, il a encore sa dame, Sybil (qui d'ailleurs contrecarre les coups des blancs); le roi blanc n'est pas non plus solitaire : il dispose d'un fou, Gradus!

Comme nous l'avons dit en introduction, notre interprétation reste au premier niveau du roman : c'est bien John Shade le poète et Kinbote, l'ex-roi Charles le Bien-Aimé de Zembla commente et édite le poème.

Nous sommes frappés de constater que Kinbote relate dans les moindres détails les pérégrinations de Gradus jusqu’à New Wye, qu’il est capable de raconter ses origines familiales et son histoire navrante ; comment peut il connaître tout cela aussi bien, alors qu’il est sensé n’avoir rencontré Gradus que lors d’une ou deux entrevues à la prison, après son arrestation et avant son suicide ? La seule possibilité vraisemblable est qu’il connaissait Gradus bien avant et que Gradus lui-même, ou qu’un complice des Ombres (organisation secrète de Zembla) le tienne au courant, étape par étape, de ses faits et gestes.

Kinbote feint de n’avoir jamais vu Gradus avant l’assassinat de John Shade (commentaire du vers 1000) ; mais n’est ce pas un autre de ses mensonges, quand on connaît l’épisode où Gradus aide les pompiers à lyncher les innocents touristes danois, dans l’épisode de l’incendie relaté dans le chapitre consacré à la théorie 'Alcibiade' ? Et quand on sait que Gradus fait partie de la commission spéciale qui condamne à mort celui qui ose imiter et parodier le Roi sur une radio clandestine ?

Nous nous posons d’ailleurs beaucoup d’autres questions concernant ce personnage peu recommandable. Pourquoi un marchand d’eau de vie, puis artisan verrier, se retrouve t-il à aider les pompiers à lyncher des incendiaires ? Comment le même peut –il se retrouver juge dans une commission spéciale ? Et le même Gradus, qui lynche et condamne à mort les ennemis du Roi serait plus tard un révolutionnaire voulant renverser la royauté ?

Nous pensons que la seule explication plausible est que Gradus est en réalité l’homme de main, l’exécuteur des basses œuvres de Charles le Bien-Aimé ; d’ailleurs Kinbote dans l’index, le décrit comme homme à tout faire et tueur … Et donc, non seulement Kinbote le connaît, mais c’est à lui qu’il s’adresse pour la mise en œuvre de son stratagème.

Charles le Bien-Aimé, grand érudit de poésie anglaise et admirateur de John Shade (qui peut croire que c’est par le plus grand des hasards qu’il loue la maison voisine de John Shade ? - un autre des nombreux mensonges de Kinbote – voir l’ Introduction, …), se pique de littérature, mais concède qu’il est incapable d’écrire lui-même le poème dont il rêve, à la gloire de sa chère Zembla et de sa propre épopée (commentaire du vers 991): 'Bien que je sois capable … d’imiter n’importe quelle prose dans ce monde (mais chose assez singulière, pas les vers – je suis un piètre rimailleur), je ne me considère pas comme un artiste.'

N’est il pas plausible, voire vraisemblable, que son dessein secret était de convaincre John Shade d’écrire le poème à sa place (commentaire du vers 41) : 'Je l’en hypnotisai, je le saturai de ma vision , je lui imposai, avec la folle générosité de l’ivrogne, tout ce que j’étais incapable de mettre en vers moi-même' puis de le tuer pour s’en approprier et le faire paraître sous son propre nom ? Il soudoie donc Gradus pour assassiner John Shade. Son stratagème machiavélique consiste à masquer le meurtre d’un obscur poète et professeur d’Université, par un régicide raté. Qui pourrait douter que c’était lui, le Roi, qui était visé par le meurtrier ?

Voici le résumé du stratagème de Charles le Bien-Aimé / Kinbote : Charles le Bien-Aimé, déchu, en exil veut prouver au monde entier quel Roi remarquable il était en publiant une épopée poétique à la gloire de Zembla et de son Roi ; ce stratagème se décline en sept étapes ; nous pouvons le voir comme la solution d’un problème d’échec en sept coups que Charles le Bien-Aimé / Kinbote a mis au point pour parvenir à ses fins :

  1. Incapable d’écrire lui-même le poème, il s’installe dans la maison voisine du poète qu’il admire, John Shade, enseigne dans la même université que lui et par tous les moyens tente de le forcer à s’inspirer de son histoire pour écrire le poème ;
  2. Il soudoie Gradus pour venir assassiner John Shade, dès que celui-ci aura terminé le poème ; mais pour camoufler ce crime, il a l’idée géniale de faire passer Gradus pour un régicide et de faire croire que c’est lui , Charles le Bien-Aimé qui sera visé par l’assassin ;
  3. Gradus s’est fait enrôler par les Ombres qui veulent la mort du Roi enfui ; un complice, Nodo, (demi-frère d’Odon, ami du Roi qui l’a aidé à fuir de Zembla) le fait désigner comme régicide en trichant au tirage au sort : Nodo mélange les cartes et Gradus tire l’as de pique (dans l’index, Nodo est un 'méprisable traitre', bien sur …);
  4. Gradus joue son rôle de régicide en allant à Paris, Genève, puis Nice pour découvrir l’adresse du Roi en exil ; il la trouve grâce à un nouveau personnage, Izumrudov ('comme on déteste de tels hommes'), qui surgit fort à propos, lui montre la lettre volée chez la Reine Disa, que Charles le Bien-Aimé lui avait écrite complaisamment peu de temps auparavant et qui lui dévoile son adresse en exil ;
  5. Gradus arrive à New-Wye, trouve Kinbote, fait semblant de le viser mais tue John Shade ‘par erreur’ ; pour rendre crédible cette version, Kinbote insiste lourdement plusieurs fois dans ses commentaires sur la maladresse de Gradus… Mais nous notons que le jardinier de Kinbote, affirmera que c’était bien John Shade qui était visé ;
  6. Capturé, Gradus essaye de se faire passer pour Jack Grey, échappé d’un asile, qui serait venu se venger du juge qui l’avait fait interner ; le juge est le propriétaire de Kinbote et Jack Grey aurait pris John Shade pour le juge. Mais comment Gradus aurait-il pu mettre au point une telle fable dans le très court laps de temps qu’il aura passé à New Wye avant le meurtre ? C’est bien évidemment Kinbote qui lui a soufflé cette histoire pour 'l’aider' face à la police et à la justice, en une sorte d’alibi !
  7. Mais face à ses lecteurs et face à l’Histoire, cette fable ne tient pas ; c’est la version du régicide manqué qui doit être retenue. Gradus se suicide bien à propos (ou peut-être est il ‘suicidé’ par Kinbote ?) et Kinbote, qui s’est emparé du manuscrit du poème, ne peut pas être soupçonné du meurtre par ses lecteurs. Echec et mat !

Mais hélas pour Kinbote, quand, consterné, il constate que John Shade n’a pratiquement rien utilisé des précieux matériaux de l’épopée zemblienne, qu’il a tenté de lui instiller de force, le plan s’écroule ; pourquoi être l’auteur de Pale Fire, si ce poème ne parle ni de Zembla ni de son Roi ? Il se contente alors d’éditer le poème de John Shade et de rédiger ses commentaires pour sa plus grande gloire et pour étayer sa version du régicide. Partie nulle ?

Echecs

Enfin, nous pensons que Nabokov, annonce le meurtre de son poète John Shade dès le premier vers du poème : le jaseur, 'waxwing' c'est John Shade lui-même, abusé non pas par le reflet dans la fenêtre, mais par Kinbote, qui veut s'emparer du poème et, dans une sorte de dédoublement de la personnalité, s'en attribuer la paternité... Il est étonnant de constater que la poète veut donner lui-même une atmosphère de roman policier en invoquant Sherlock Holmes ! Voir la page consacrèe au début du poème.

D’après l’article de Wikipedia consacré à Pale Fire, Nabokov lui-même aurait dit dans une interview que Kinbote se serait suicidé après la parution du livre : La théorie Solus Rex fournit une explication simple à ce suicide, qui aurait été provoqué par le remord après l’assassinat de John Shade et finalement l’échec du stratagème.

Roger Ackroyd
1ère édition
du roman d'Agatha Christie

Ce n’est pas la première fois que le narrateur, qui écrit à la première personne, est aussi le meurtrier d’un roman policier. Dans 'Le Meurtre de Roger Ackroyd', un des premiers romans d’Agatha Christie, publié en Grande Bretagne en 1926, le narrateur est l’assassin, finalement démasqué par Hercule Poirot ; dans Feu Pâle, il n’y a pas d’Hercule pour démasquer Kinbote / Alcibiade, qui, jusqu’au bout trompe ses lecteurs ! Juste un clin d’œil : l’action du roman d’Agatha Christie se situe dans un village anglais, appelé King’s Abbot. King’s Abbot, Kinbote … curieuse coïncidence, non ?

Vladimir Nabokov avait déjà fait appel auparavant à Agathe Christie : Dans 'La vraie vie de Sebastian Knight' le premier roman fictif de Sebastian, 'L'iris du miroir' est une parodie du roman 'Le meutre de l'Orient Express', publié en 1934, autre énigme résolue par Hercule Poirot.

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Dernière mise à jour : 28/12/2012