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Vladimir Nabokov
1899-1977
né à
St Petersbourg,
mort à Montreux

Dialogues de Platon :
Alcibiade majeur
Le Banquet (Symposium)

Mythologie :
Silène

Hermai
L'affaire des Hermocopides

Scandale littéraire :
Gore Vidal
The City and the Pillar

Solus Rex

Feu Pâle, roman de Vladimir Nabokov

Charles le Bien-Aimé s'imagine Périclès dans sa nouvelle Athènes, il n'est qu'Alcibiade, tyran et débauché

Alcibiade

Alcibiade est une figure historique de première importance dans l’histoire grecque antique, à l’époque des guerres du Péloponnèse. Par sa mère, il est de la famille du grand Périclès. Général et homme politique athénien, il est élu Stratège en 420 av. JC. Dans la démocratie athénienne de l’époque des guerres du Péloponnèse, dix stratèges sont élus pour une période d’un an, commandent l’armée et rendent compte devant l’assemblée du peuple (Ekklesia) et le conseil des 500 (Boulé). Alcibiade est renommé pour sa très grande beauté, sa force, son courage. Il est brillant et séduisant, mais aussi très ambitieux, peu respectueux des lois et peu scrupuleux, contraint à l’exil, puis rappelé, il a été à la fois admiré et haï (Aristophane, les Grenouilles) : 'You should not rear a lion cub in the city, but if one is brought up, accommodate its ways.'

Alcibiade
Buste d'Alcibiade
copie romaine
Symposium
Pietro Testa (1611-1650):
Alcibiade ivre, interrompant le Symposium

Il est aussi connu pour ses mœurs sexuelles ‘versatiles’ et sa débauche. Les relations entre Socrate et Alcibiade, où se mêlent pédagogie et pédophilie, le maître plus âgé transférant à son jeune disciple son savoir et sa sagesse par l’intermédiaire d’une relation amoureuse, sont évoquées dans plusieurs dialogues de Platon : particulièrement Alcibiade Majeur et le Banquet (‘Symposium’). Dans Alcibiade Majeur, Socrate veut séduire Alcibiade, alors âgé de moins de vingt ans mais déjà dévoré d’ambitions politiques ; Socrate veut le convaincre qu’il n’a pas encore la maturité suffisante pour exercer le pouvoir et qu’il veut lui faire bénéficier de son expérience (il doit d’abord apprendre à se connaître lui-même ; ‘gnothi seauton, connais-toi toi-même’). Dans le Banquet, dialogue sur le thème de l’amour entre Socrate, Agathon, Pausanias, Aristophane et d’autres participants, c’est Alcibiade qui est amoureux de Socrate. Il n’est pas invité au banquet, force la porte et, ivre, fait une véritable scène de jalousie à Socrate ! Alcibiade fait l’éloge de Socrate et le compare à un silène : 'Je déclare qu'il est tout pareil à ces silènes qu'on voit exposés dans les ateliers des sculpteurs, et que les artistes représentent un pipeau ou une flûte à la main ; si on les ouvre en deux, on voit qu'ils contiennent, à l'intérieur, des statues de dieux.'

Dans la mythologie, Silène est un satyre, fils d’Hermès, père adoptif de Dionysos. Il personnifie l’ivresse et est généralement représenté sous la forme d’un vieillard jovial, grossier, bedonnant et très laid. La comparaison d’Alcibiade n’est pas qu’une moquerie, car les statues des silènes contenaient des représentations précieuses des dieux olympiens en argent ou en or. Cette comparaison des Silènes d’Alcibiade sera reprise de nombreuses fois dans la littérature classique pour s’appliquer à tout ce qui, sous une apparence vile, dissimule un fond précieux : Chaucer (les Contes de Canterburry); Erasme (Adages, Eloge de la Folie) ; Rabelais (Gargantua). Alcibiade apparaît aussi dans les Essais de Montaigne (dans le chapitre "de l’institution des enfants") mais plus pour ses talents d’adaptabilité et de flexibilité (athénien, puis au service de Sparte, puis des Perses …).

A signaler aussi que les Silènes sont aussi des papillons … Myrina Silenus est un magnifique papillon dont les ailes ont une teinte bleue iridescente remarquable.

Silene
Silène, vase étrusque
vers 300 av. JC
Papillon
Papillon 'Myrina Silenus',
papillon bleu du figuier

En 415 av. JC, au moment où la flotte athénienne doit appareiller pour Syracuse en Sicile, les Hermai athéniens ont été mutilés et vandalisés. Les Hermai, dieux phalliques des frontières symbolisent la puissance d’Athènes … et des athéniens. Ce sont des représentations du dieu Hermès grec (qui deviendra Mercure au temps des romains) souvent ornées d’un phallus en érection. Alcibiade et ses troupes ont été accusés d’avoir commis cette profanation (l'affaire des Hermocopides, et nous ne savons d'ailleurs pas si la profanation des hermai est une castration ou une mutilation du visage) et Alcibiade sera contraint à l’exil, trahira Athènes et se mettra au service de Sparte, puis des Perses, avant d’être rappelé à Athènes et d’être forcé une seconde fois à l’exil. Il sera assassiné en 404 av. JC en Phrygie (Perse).

La vie d’Alcibiade a été rapportée par plusieurs historiens dont Thucydide, Xénophon et plus tard Plutarque. De nombreux auteurs se sont emparés du personnage d’Alcibiade pour en faire un symbole de beauté superficielle, de dandysme, voire d’homosexualité. On le voit chez Oscar Wilde et Baudelaire comme dandy ; en icône de l’homosexualité, il apparaît dans plusieurs romans contemporains, comme dans 'The City and the Pillar' (un garçon près de la rivière) de Gore Vidal en 1948 aux Etats-Unis, livre qui fit scandale parce que c’était le premier vrai roman américain à mettre en scène des personnages clairement homosexuels. Le héros, Jim Willard, homosexuel, n’est ni efféminé ni travesti, mais sportif, athlétique et excellent joueur de tennis. 1948 est l’année où Nabokov est nommé professeur de littérature à Cornell University et sept ans avant la première publication de Lolita en France, autre scandale littéraire…

Hermés
Hermai archaïque
Gore Vidal
Gore Vidal, en 1948

Charles le Bien-Aimé est Alcibiade

Le théorie Alcibiade

On aura remarqué, bien évidemment, les nombreuses similitudes entre les personnages d’Alcibiade, général grec et de Charles le Bien-Aimé, Roi de Zembla. Similitudes physiques tout d’abord : Charles le Bien-Aimé / Kinbote est grand, sportif - il se décrit dans son commentaire du vers 130 comme 'un assez bon cavalier, un skieur vigoureux, un bon patineur, un lutteur astucieux, un alpiniste enthousiaste', il a 'la carrure robuste, le port droit, le nez arrogant…', (commentaire du vers 949). Il démontre son courage ‘altier’ lors de la révolution, lorsqu’il se retrouve isolé (‘Solus Rex’) dans son château d’Onhava, refuse d’abdiquer et réussit à s’échapper et à fuir en exil. Il est le Roi Bien-Aimé, puis haï, déchu et emprisonné. Il est ouvertement homosexuel quelle que soit la face du personnage : Charles le bien-aimé ou Kinbote ; le Roi se livre à la débauche. Son homosexualité ouvertement assumée est accompagnée d’une méprisante misogynie : en parlant de Fleur, 'La vue de ses quatre membres nus et des ses trois nids de souris (anatomie zemblienne) l’irritait' (commentaire du vers 80) ; dans son commentaire des vers 433-434, il cite le dicton 'zemblien' (dont nous préférons donner la version originale en anglais):

'A beautiful woman should be like a compass rose of ivory with four parts of ebony.'

Sans parler de la description 'de tous ses efforts pour essayer de la posséder', en parlant de son épouse, la Reine Disa, 'au commencement de leur mariage calamiteux' , ni des 'investigations des charmes élastiques de quelques étudiante mammifère' d’un professeur de l’Université.

Nabokov sème d’autres cailloux blancs le long de cette piste : En écho à la mutilation des Hermai par Alcibiade et ses soldats, quand le Roi s’échappe par le souterrain, une statue de Mercure décapitée est sur le chemin (commentaire du vers 130); Gradus, identifié de façon évidente à Hermès/Mercure (par exemple par Mary McCarthy dans son essai ‘Vladimir Nabokov’s Pale Fire’, 1962), 'avait à plusieurs reprises essayé de se castrer, grandement gêné par ses désirs sexuels' ! (Commentaire du vers 697.)

Plus qu’un caillou blanc, carrément un Herm athénien, avec l’apparition déjà mentionnée plus haut des travestis Phryne et Timandre, compagnons de débauche de Charles le Bien-Aimé (commentaire des vers 433-434), versions zembliennes des prostituées Phrynia et Timandra qui accompagnent Alcibiade dans Timon d’Athènes !

Enfin, cette fois en écho au Banquet de Platon, Kinbote, en quelque sorte amoureux de John Shade, qu’il admire, - amour non partagé ! - lui fait une scène de jalousie quand il réalise qu’il n’a pas été invité à son 62ème anniversaire (commentaire du vers 181). 'Je vous accorde que je ressemblais beaucoup à un amant malingre et prudent, qui profite de ce qu’un jeune mari se trouve seul chez lui!', dit –il en rejoignant un soir John Shade, après avoir attendu que Sybil Shade soit partie.

On verra toutes les louanges que Kinbote tressent à Charles le Bien-Aimé (c'est-à-dire à lui-même), longuement et complaisamment dans le commentaire du vers 12 : '… harmonie était le mot de passe de ce règne. Les beaux arts et la science pure florissaient. On permettait à la technologie, à la physique appliquée, à la chimie industrielle et autres de se développer …' Sans doute Charles le Bien-Aimé s’imagine Périclès, souverain éclairé de son Onhava, une nouvelle Athènes, protecteur des arts et des sciences ; mais dans son règne qu’il qualifie lui-même de ‘paisible et élégant’, les pompiers lynchent d’innocents touristes danois accusés d’avoir déclenché l’incendie où périt la vieille comtesse, mère de Fleur (commentaire du vers 80) ; un as du tennis, qui ose imiter la voix du Roi et le parodier sur une radio clandestine est condamné à mort (commentaire du vers 171) : Charles le Bien-Aimé n’est rien d’autre qu’Alcibiade, brillant et séducteur, mais débauché, petit tyran brutal et sans scrupules.

Il faut donc identifier Charles le Bien-Aimé / Kinbote avec Alcibiade; Onhava est Athènes; en conséquence John Shade est Socrate … et Nabokov est Platon!

En outre, nous pensons que Charles le Bien-Aimé est un meurtrier, et c’est notre seconde théorie (que nous appelons 'Solus Rex'), où nous soutenons qu’un scénario où Kinbote / Charles le Bien-Aimé est le véritable instigateur et commanditaire du meurtre de John Shade et où Gradus est son homme de main, est très plausible.

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Dernière mise à jour : 29/12/2012