Feu Pâle : le poème de John Shade
Nous donnons ici notre traduction des deux premières strophes du chant un (Canto One) du poème de John Shade / Nabokov.
La traduction par Raymond Girard et Maurice-Edgar Coindreau du poème de John Shade dans l'édition française Gallimard de Feu Pâle est une traduction la plus fidèle possible de Nabokov. Nous proposons ici une version versifiée des deux premières strophes, forcèment moins fidèle ...
Chant Un
J’étais l’ombre du jaseur tué, percuté
Sur le carreau, trompé par l’azur reflété;
J’étais le pauvre monticule de duvet gris,
Mais je volais encor dans le ciel réfléchi.
Je me dédoublerais aussi dans la fenêtre,
Moi-même, ma lampe et la pomme dans l’assiette :
Rideaux ouverts, je laisserais rentrer la nuit,
Les meubles flotteraient sur le pré assombri.
Quel délice, tandis qu’une averse de neige
Ensevelissait mon bout de pelouse, assez
Pour que, sur la neige amoncelée, lit et chaises
Parussent meubler le jardin cristallisé.
Chute de neige encor : chaque flocon dérive
Lentement, insaisissable, opaque et fragile,
Ombre blanche et matte dans la pâle lueur
D’un jour tout blanc, devant des mélèzes irréels
Puis dans la double pénombre bleue, graduelle
Quand la nuit confond paysage et spectateur.
Et le lendemain matin, des diamants gelés
Emerveillent : quelles griffes d’oiseau croisèrent
De gauche à droite, la page blanche de l’allée ?
Je lis de gauche à droite dans le code de l’hiver :
Sont écrits : point et flèche pointant à l’envers,
Point, flèche à l’envers … c’est la trace d’un faisan !
Sublime oiseau au collier, coq éblouissant,
Tu trouves ta porcelaine derrière ma maison.
Chaussé à l’envers, sortirais-tu d’un roman
De Sherlock Holmes, tes traces semblant à reculons ?
...
*******