Incognita
Les soirs brûlants de printemps, les auberges
Transpirent dans un air violent et lourd
Les clameurs des fêtards et l'atmosphère
Ecœurante, outragent les alentours.
Au dessus des boulevards poussiéreux
Et des mornes pavillons de banlieue
Un bretzel géant vante une boutique
Et les gamins hurlent des cris hystériques.
Et tous les soirs, au delà des barrières
De beaux messieurs confits d’esprit canaille
Vont et longent le fossé du canal
Femme au bras, chapeau melon de travers.
Les rames frappent l'eau du lac en grinçant,
Le cri d’une femme agresse les oreilles ;
Avec un regard vide et méprisant
La Lune, blafarde, d’en haut, surveille.
Là, le soir, mon alter ego s’assied,
Son image se reflète dans mon verre.
Comme moi, il est brisé et humilié
Et en a soupé, des mystères amers.
Les serveuses, debout près des tables, lasses,
Attendent que daigne poindre le matin
Et les soiffards aux yeux rouges de lapin
S’exclament ensemble : ‘In vino veritas !’
Et toujours à la même heure, chaque soir
(ou peut-être, l'ai-je seulement rêvé ?)
La mince silhouette, drapée de soies
Apparaît dans la fenêtre embuée.
Passant le long des ivrognes attablés
Elle, sans compagnon, toujours esseulée,
Auréolée de parfum et brouillard,
A la fenêtre, lentement va s'asseoir.
Elle, et ses certitudes surannées,
Vêtue de ses soieries inaltérables,
Avec son chapeau aux plumes macabres,
Et ses bagues à ses longs doigts effilés.
Par cette étrange présence enchaîné,
Je contemple, à travers son voile noir,
Envoûté, les rives du lac embrumé
Et au delà, le pâle territoire.
Je suis le gardien de profonds secrets
Son étoile, un être aimé me confie ;
Mais le vin aigre transperce les replis
Du labyrinthe de mon âme torturée.
Maintenant, les plumes d’autruche inclinées
S’affaissent encore et l'esprit m'accablent.
Les deux yeux bleus, limpides et insondables
Soudain, éclairent le rivage éloigné.
De mon âme, un trésor est bien au creux
La clé est là, c’est moi qui la détiens.
Tu as bien raison, ivrogne monstrueux !
Je sais : la vérité est dans le vin.
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