Feu Pâle et Picasso
Picasso apparait deux fois dans Feu Pâle.
Kinbote/Charles le Bien-Aimé aime Picasso. Une copie d’une toile que Kinbote appelle ‘Chandelier, pot et casserole émaillée’ orne la garçonnière du Roi à Zembla ; il s’agit d’une huile datée de 1945, aujourd’hui à Beaubourg, appelée ‘Casserolle émaillée’ (commentaire du vers 12). Une autre reproduction d’une toile de Picasso orne la maison de Kinbote à New-Wye. Dans son commentaire (vers 47-48), Kinbote la décrit: 'Picasso de la première époque, que j’aime beaucoup : un garçon couleur d’argile, menant un cheval couleur de pluie'. Il s’agit du ‘Meneur de cheval nu’ (1906). Le choix pour cette toile n’est évidemment pas innocent ; Kinbote aurait bien volontiers invité ce jeune meneur de cheval à jouer au ping-pong (voir l’Introduction, à propos des tables de ping-pong installées dans la cave de Kinbote)…
Picasso, installé à Paris à partir de 1905, acheva le Meneur de cheval nu au printemps 1906. L'œuvre fut acquise par Leo Stein (c’est une des premières acquisitions d’une œuvre de Picasso par la famille Stein). On a pu voir cette grande toile (plus de 2m de haut) au Grand Palais à l’exposition Stein, l’hiver dernier (l’aventure des Stein). Passionnée de peinture moderne et grande amie de Picasso, Gertrude Stein a tenu salon au 27 rue de Fleurus, où le Tout-Paris artistique se précipitait. Il est probable que Vladimir Nabokov ait rencontré Picasso et Gertrude Stein lors de son séjour à Paris avant la seconde guerre mondiale et son départ pour les Etats Unis.
C'est du moins ce qu'on suppose à la lecture du livre récent de Paul Russel (2011), 'The unreal life of Serguey Nabokov' (le titre est un clin d'oeil au roman 'The real life of Sebastian Knight' premier à avoir été écrit en langue anglaise par Vladimir Nabokov), roman qui relate la vie de Serguey Nabokov à Paris et Berlin ; Serguey est le jeune frère homosexuel de Vladimir (d'après le livre Serguey aurait été l'amant occasionnel de Cocteau) et côtoie Gertrude Stein, Picasso, Diaghilev, Stravinsky ... Vladimir a entretenu des rapports distants et froids avec son frère Serguey, mais ils se sont rapprochés quand ils étaient tous les deux à Paris, avant la dernière guerre. 'Nous nous retrouvâmes à nouveau et eûmes d'assez bons rapports de 1938 à 1940 à Paris'. Serguey finira sa vie en Juin 1945 dans un camp de concentration à Hambourg (voir l'autobiographie de Vladimir Nabokov, Autres Rivages, ch. XIII).
Enfin, si on en croit Vadim Vadimovitch, l'alter ego de Vladimir Vladimirovitch Nabokov dans 'Regarde, regarde les arlequins!' (II, ch. 9):
La seconde moitié des années 30 fut marquée à Paris par une merveilleuse vague de créativité chez les artistes exilés, et il serait prétentieux et stupide de ma part de ne pas admettre que, quoi qu'aient pu écrire à mon sujet certains critiques des plus malhonnêtes, j'étais bien au faîte de cette renaissance. Dans les salles de conférences, dans les arrières-salles de cafés célèbres, lors de soirées littéraires privées, je prenais plaisir à désigner à mon élégante et silencieuse compagne les divers monstres de l'Enfer, les escrocs et les estropions, les nullités bonasses, les 'groupistes', les poires à gurus, les pédérastes pieux, les charmantes lesbiennes hystériques, les vieux réalistes aux boucles grises, les nouveaux critiques brillants, illétrés, intuitifs (menés par l'inoubliable Adam Atropovitch).
Le traducteur écrit bien : '...j'étais bien au faîte de cette renaissance' (dans la version originale : 'I stood at the peak ...'). Gertrude Stein et sa compagne Alice B. Toklas sont-elles les 'charmantes lesbiennes hystériques' que Vadim compte parmi les 'monstres de l'Enfer' ?
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Dernière mise à jour : 24/12/2012