Nabokov s'inspire de Robert Frost pour créer John Shade
Robert Frost (1874-1963) est renommé pour sa peinture réaliste de la vie rurale américaine. Marié à Elinor Miriam White en 1895, il s’installe dans une ferme à Derry, New Hampshire, écrivant ses poèmes (dont certains de ses plus célèbres) très tôt le matin avant le travail de la ferme. Il abandonne la carrière de fermier en 1906 pour devenir professeur d’Anglais dans différentes écoles ou universités du New Hampshire, avant de partir avec sa famille de 1912 à 1915 en Angleterre.
A son retour, il achète une ferme à Franconia, New Hampshire et se
consacre pleinement à l’écriture et l’enseignement. Il enseigne en particulier à l’Amherst College, Massachussets ;
Middleburry College, Ripton, Vermont ; et Ann Arbor, University of Michigan.
Robert Frost gagne quatre prix Pullitzer : en 1924 (pour son livre 'New Hampshire : A Poem with Notes and Grace Notes' :
un poème avec des commentaires), puis en 1931, 1937 et 1943. Robert Frost est l’un des plus populaires et
respectés poètes américains de sa génération. Il prononcera le 20 Janvier 1961 une lecture de son poème ‘The Gift
Outright’ à l’inauguration de la présidence de John F. Kennedy. Il meurt des suites d’une opération de la prostate
en 1963.
La vie de Robert Frost a été marquée par de très nombreux malheurs ; plusieurs membres de la famille ont souffert de maladies mentales ; sa mère, lui-même et son épouse Elinor ont souffert de dépressions sévères. Robert et Elinor ont eu six enfants, deux moururent très jeunes ; leur fils Carol se suicidera à 38 ans – John Shade partage avec Robert Frost la douleur d’avoir un enfant suicidé - ; et seules deux filles, Lesley et Irma survécurent à leur père.
Dans le cadre de l'histoire de Feu Pâle, où la fille du poète se noit dans les eaux glacées d'un lac, il nous semble opportun de citer l'un des poèmes les plus connus de Robert Frost, 'Fire and Ice', tiré de son recueil 'New Hempshire' et où il est question de feu et de glace, et de désir et de haine, et dont voici notre traduction :
Feu et glace
On dit que le monde, dans les flammes, doit périr;
La glace ! d’autres clament.
J’ai gouté du désir,
Donc, je serais plutôt avec le camp des flammes.
Si, de mourir deux fois, on infligeait la peine,
Je pense que j’en connais bien assez sur la haine
Pour affirmer que, quand il s’agit de détruire,
La glace, aussi, est reine
Et devrait bien suffire.
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Vladimir Nabokov débarque aux Etats-Unis à New-York le 28 Mai 1940 ; il est donc aux Etats-Unis lorsque Robert Frost obtient son quatrième prix Pullitzer et il est directement témoin de sa popularité jusqu’au discours d’inauguration du président Kennedy. Nabokov quitte les Etats-Unis pour s’installer à Montreux en Suisse en 1961 et Pale Fire est publié en 1962.
John Francis Shade, ainsi que Kinbote le souligne dans l’introduction est contemporain de Robert Frost : né en 1898, il écrit le poème Pale Fire et meurt assassiné en 1959, quelques jours après son 62ème anniversaire ; il pourrait ressembler au Robert Frost de 67 ans de la photo ci-dessous.
Clairement, John Shade marche sur les traces de Robert Frost, comme il le dit lui-même dans son poème au vers 426 : Dans une émission culturelle à la télévision,
'… my name
Was mentioned twice, as usual just behind
(one oozy footstep) Frost.'
Quelques poèmes de Robert Frost sont cités de manière explicite ou implicite... Les premiers vers de Pale Fire font référence au poème 'Of a Winter Evening' de Robert Frost. Mais dans le poème de Robert Frost, le corbeau évite de justesse de s’écraser sur la vitre…
Pale Fire, John Shade
'I was the shadow of the waxwing slain
By the false azure in the windowpane…'
traduit par :
'C’était moi l’ombre du jaseur tué
Par l’azur trompeur de la vitre …'
Of a Winter Evening, Robert Frost
'The winter owl banked just in time to pass
And save herself from breaking window glass'
L’oiseau de John Shade est un ‘jaseur’ (waxwing), un passereau des forêts boréales de l’Eurasie (Zembla !) et de l’Amérique a la tête surmontée d’une courte crête.